tout en douceur; autoportrait; au lecteur
tout en douceur
Gibelotte en compagnie de Montaigne raconte ce qui s'est réellement passé au collège de Sorel-Tracy avec des personnes qui ont vraiment existé. Quand le récit des faits ne suffit pas à donner accès à la réalité, la fiction intervient. D'où la nécessité de transformer une personne réelle, la directrice du collège, en personnage fictif qui fait des confidences. Lire ce livre, c'est comme conduire une voiture hybride avec un moteur qui a comme carburants de l'essence et de l'électricité et qu'un logiciel fait passer de l'une à l'autre source d'énergie tout en douceur. Au lecteur de décider du régime de sa lecture, référentiel ou fictionnel. Ces notions m'ont été utiles pour écrire une thèse de doctorat à l'Université Laval sur l'espace autobiographique de la fiction que j'ai réussie grâce aux bons conseils de Jean Marcel qui lut et commenta le brouillon de ma thèse. Il me conseilla de lire l'essai de Kate Hamburger, Logique du récit. Ce livre fut décisif. Dans le brouillon de ma thèse, je citais Roger Peyrefitte qui, cherchant partout des homosexuels et des lesbiennes pour justifier son orientation sexuelle, mentionna Marguerite Yourcenar. Jean Marcel écrivit dans la marge: Cessez ces ragots de pissotières. Ce que j'ai fait en enlevant toute référence à Roger Peyrefitte. J’ai suggéré que, comme ses personnages Zénon de l'Oeuvre au Noir et Hadrien des Mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar était probablement bisexuelle avec préférence homosexuelle. Ma thèse, un peu audacieuse, fut acceptée grâce aux professeurs Jean Marcel et Réginald Hamel, membres du jury.
Notons que les personnes impliquées dans l'action ne sont pas des individus isolés mais agissent au sein de personnes morales comme un syndicat d'enseignants ou la direction d'un collège. Avec la présence lourde et coûteuse en argent et en temps du monde de la justice: code civil sur le devoir de loyauté d'un employé envers son employeur mais aussi des devoirs de l'employeur envers son employé, convention collective signée par les deux parties mais appliquée différemment, poursuites en diffamation, avocats, juges, arbitre de griefs ou arbitre au Tribunal du travail. Ce recours belliqueux des deux côtés aux instances juridiques était la conséquence de la quasi impossibilité du dialogue amical. Le conflit a été dur et anxiogène. Comme nous l'a appris le docteur Camille Laurin dans son petit livre Pourquoi je suis souverainiste, publié aux Editions du Parti québécois, on appelle idiosyncrasie, les caractéristiques particulières d'un individu ou d'un peuple. Chez les belligérants de ce conflit, il y avait des idiosyncrasies fortes et opposées. Réduire les oppositions à des conflits de personnalités serait toutefois une grave erreur à ne pas faire. Certes, il ne faut pas dramatiser mais il ne faut pas minimiser non plus. C'est du passé mais c'est une expérience riche en émotions que l'auteur voulait revivre en la décrivant. Au terme du processus, il peut dire que ça en valait la peine. En souhaitant que vous soyez de son avis.
introduction
A Jean Marcel, essayiste et professeur à l'Université Laval de Québec
autoportrait
Bons souvenirs soyez les bienvenus: vous êtes ma jeunesse lointaine. Je suis Montréalais. Au parc Lafontaine, le baseball et les immenses peupliers odoriférants de l'automne. Mes grands-mères qui m’ont accueilli, quatre ans, rue Wolfe et quatre ans, rue Brébeuf. Le parc Robin. Le train est en marche de Montréal à Pointe-Calumet. On est en 1948. C'est l'été. J'ai dix ans. Je me colle le nez contre la vitre du train en marche et je regarde. J'entends le ronron régulier et rassurant du train. Heureux de voyager, je vois le paysage, les champs de blé d'Inde, les vaches, les chevaux, les percherons costauds et leurs fesses rondes, les maisons de campagne, les légumes dans les jardins, les granges spacieuses, les tas de fumier, le clocher des églises, les arbres comme dans les peintures de Marc-Aurèle Fortin, les fleurs comme chez Renoir et Van Gogh, la pluie qui commence à tomber, le lac des Deux Montagnes. J'aime la pluie qui tombe. Tout m'intéresse, pour moi rien n'est banal. Ma curiosité est immense. Je veux tout voir. Tout ce qui existe me captive et contribue à ma joie de vivre. J'apprécie sans réserve le cadeau de la vie.
Comme Bernanos dont j'ai beaucoup aimé le Journal d'un curé de campagne, je n'ai pas oublié ce petit garçon que j'ai été dans le train vers Pointe-Calumet. Ou dans l'autobus vers le parc Belmont avec ma mère et les savoureux sandwichs au Paris-pâté accompagnés d'une bouteille d'orange Crush. La prison de Bordeaux, à Rivière-des-Prairies, m'impressionnait beaucoup avec son dôme qui me rappelait celui de l'Oratoire St-Joseph. Les barreaux des fenêtres du vaste édifice me rendaient triste. Moi, je jouais librement. Je courais vite, très vite. J’étais rapide. Dans les festivals, je gagnais des courses de vitesse et les prix, un bâton de baseball, un gant, une balle, une médaille. Mon père, grand amateur de baseball, me félicitait. Ma mère aussi était contente toujours fière de son fils Robert. Un peu trop et mon frère Gaston devait en prendre ombrage. Je ne le compris que beaucoup plus tard. Je mangeais bien, mes grands-mères m'aimaient; les quatre premières années chez ma grand-mère italienne puis les quatre suivantes chez ma grand-mère canadienne comme on disait à l'époque. Ma mère m'amenait tous les samedis de l'été au parc Belmont et, plus tard, au chalet de Pointe-Calumet. J'aimais l'école. J'étais un enfant heureux. Un vrai p'tit gars batailleur, sportif et studieux. J'étais premier de classe. Sur la rue Brébeuf, au hockey bottine, j'étais Maurice Richard, je comptais des buts et, Gilles Parent, mon meilleur ami, était Elmer Lach, il me faisait de belles passes. C'était le bonheur total entre les immenses bancs de neige. Quand la neige avait fondu au printemps, on faisait tourner une toupie sur le trottoir, on jouait aux billes qu’on lançait sur le mur ou aux cartes de sport qu’on collait sur le mur et qu’on laissait tomber. J’entends encore le bruit des billes qui s’entrechoquent.
Au baseball, mon modèle était l'arrêt-court des Royaux de Montréal, Bobby Morgan. C'est pourquoi on m'appelait Bobby puisque moi-même, je jouais à l'arrêt-court. Mon père avait des billets de saison de baseball et il m'amenait régulièrement voir jouer les Royaux de Montréal au stade De Lorimier, coin Ontario, les dimanches après-midi avec des programmes doubles. Le lanceur gaucher Tom Lasorda. Les noirs Dan Bankhead et Sam Jethroe. Le géant premier but Chuck Connors frappeur gaucher qui envoyait la balle sur l'édifice Knit-to-fit où travaillait ma mère: elle cousait des boutons sur les vêtements d'enfants. Le deuxième but Rocky Bridges et le petit gaucher Al Gionfriddo qui patrouillait le chant gauche. Bobby Morgan était l'étoile des arrêts-courts de la ligue et fut le meilleur joueur de l'année 1949. Le champ droit, George Schmees, puissant frappeur gaucher qui frappait des coups de circuit sur la Knit-to-fit! Le troisième but, Don Oak. Quand les arbitres arrivaient sur le terrain, mon père criait à tue-tête : Two blind eyes!: je ne comprenais pas cette agressivité, ça me gênait ce rejet public des arbitres, cette semence d'anarchisme.
Quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt. C'est ce proverbe chinois que le Littéraire mettra au tableau dans sa classe aujourd'hui. Hier, c'était une citation de Montaigne: plus le singe monte haut dans l'arbre, plus il montre son cul en présentant des excuses aux jeunes filles en fleurs pour la vulgarité du mot. Les Soreloises firent la moue: nous prend-il pour des pudibondes! Quant aux filles de cultivateurs, c'était carrément l'indignation. Il pourrait utiliser le mot cul sans que des élèves portent plainte mais on ne sait jamais, il y a les parents, les mères surtout, qui font des téléphones à une direction qui présente une oreille très réceptive et ça elles le sentent. Ah oui, il a dit ça! On ne s'habitue pas à vivre parmi les rocs occultes et parmi l'hostilité comme l’écrit Gaston Miron: on prend une respiration profonde et on tient bon en maugréant. Et on se dit, tant pis, il faut bien que je gagne ma vie. Des femmes liées au Parti libéral avaient des postes de cadres dans son collège. Et lui, il était dans le camp adverse. Cela avait des conséquences: un mauvais climat, de la méfiance, de l'espionnage, du stress, de la délation des lécheurs de culs, des coups de cochon, avec des périodes plus ou moins longues de répit. Beaucoup d'hypocrisie. Dans le département de français, ça manigançait. Le dénigreur St-Félix-de-Valois n'allait pas à la cheville du Littéraire en littérature, telle était l'opinion du Grammairien, professeur de cinéma qui avait écrit une grammaire, c'était un minutieux. Il lui dit: Tu ne te rends pas compte, lui, il a étudié un an en lettres tandis que toi tu as un doctorat. Les élèves comparent. C'est pour ça qu'ils ne veulent pas que tu donnes de cours dans le programme d'Arts et lettres dont ils sont les gourous. Tu pourrais les faire mal paraître. Ce jour-là, le Littéraire remercia le Grammairien: il comprit pourquoi son ancien élève, St-Félix-de-Valois était envieux, sournois et hypocrite.
En se réveillant, le Littéraire pense tout de suite à la visite qu'il fera à la secrétaire de la Directrice générale, ronde, affable et sympathique pour déposer un ajout de quatre points à l'ordre du jour du prochain conseil d'administration du collège. Il énerve la directrice qui a toujours peur de perdre le contrôle mais il veut obtenir des informations sur le budget et sur l'international qui n'apporte pas de revenus et qui occasionne des dépenses somptuaires en voyages en Afrique du Nord et en Côte d'ivoire avec escale à Paris...
Vers six heures trente du matin, (à l'aube comme disent les poètes) surtout vers la fin de sa carrière, ça le forçait de se lever. Ses nuits étaient coupées par deux visites aux toilettes donc il rêvait rarement car il lui fallait six heures de sommeil d'affilée pour que le rêve survienne. Si vous voulez tout savoir, c'est à cause de l'hypertrophie bénigne de la prostate (HBP): son urologue de médecin, laconique, lui avait dit: elle est grosse. Il avait perdu la majesté du jet. Sa femme restait couchée et l'invitait à mettre une chemise propre. Il savait qu'il la retrouverait le soir toujours fidèle à ses côtés. Il y a un plaisir à partir à cause de la certitude du retour. Il obéissait et mettait dans sa poche de chemise du côté coeur un peigne, des fiches, plans de cours, numéros de téléphones et trois stylos, deux à l'encre bleue et un à l'encre rouge pour l'évaluation, le crayon rouge étant le fondement suprême du pouvoir de l'enseignant. Comme d'habitude, il était à la dernière minute, mais il arrivait toujours à l'heure en classe pour le cours de 8 heures après 68 kilomètres de route. L'adjoint au directeur des études surnommé Grand pied avait fait exprès pour lui donner des cours à 8 heures du matin. Il habitait à Longueuil à 68km du collège situé à Tracy. Vous n'avez qu'à déménager disait le subtil Adjoint qui faisait les horaires, fondement de son pouvoir. Il avait reçu pour mandat de la directrice d'alourdir sa tâche en lui donnant un horaire sur cinq jours, et un horaire écartelé: un cours à huit heures du matin et un autre cours à 3 heures de l'après-midi. Il n'avait rien à faire entre dix heures trente et trois heures; il était loin de son lit où il aurait pu faire une sieste avant le cours de l'après-midi. Il ne pouvait quand même pas aller au Chenal-du-Moine tous les jours. Il avait voulu faire un échange de cours avec une collègue (Nathalie Piette) mère de trois jeunes enfants qui, elle aussi, avait un horaire sur cinq jours et qui demeurait à Longueuil elle aussi. Mais la demande fut refusée par le Directeur des études, complice de la Directrice. La direction ne respectait pas un article de la convention collective sur la conciliation travail-famille. Quand l'adjoint cadre Grand Pied fut opéré au coeur (il souffrait d'arythmie), de retour de l'hôpital, il lui demanda si les médecins n'en avaient pas profité pour l'opérer au cerveau. Il avait oublié les leçons de Dale Carnegie dans son livre que l'abbé Jules Desrosiers lui avait passé à seize ans: Comment se faire des amis pour réussir dans la vie.
Dans la cuisine, il prenait le verre avec des petites vaches dessus, il versait du jus de pamplemousse rose froid ou du jus d'orange, puis il se faisait des rôties pain français qu'il mettait dans une assiette avec du fromage fort Riviera et une grappe de raisins rouges qu'il déposait sur le siège du passager de l'auto à sa droite et il partait en Renault 30 (puis en Honda Civic, puis en Honda Accord): rue Ste-Elizabeth dans le Vieux-Longueuil, rue St-Thomas restaurant l'Incrédule à cause de saint Thomas, rue St-Charles vers l'est, vers Pratt et Whitney Canada, fabricant de moteurs d'avion où travaille Luc Charbonneau, gardien de la tradition des patinoires extérieures, vers la 132, circulation dense avant le pont tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine et l'autoroute 20 Jean-Lesage, puis tout roule vers Boucherville, à Varennes virage à droite vers la 30, autoroute peu achalandée, Verchères, Contrecoeur, Tracy: 42 minutes d'auto à 120 km à l'heure, 68 km, parfois musique de Bach ou de Jimi Hendrix, Hey Joe, et au retour, à la radio, l'émission du docteur Pierre Mailloux, psychiatre, pour entendre des propos parfois instructifs et quand ça piétine ou que le docteur s'impatiente et devient désagréable et arrogant ce qui lui arrive régulièrement, surtout quand une mère se plaint de son fils qui prend de la drogue, les drogués sont tous des menteurs, tu fermes la radio.
Pendant trente-six ans, à trois ou quatre jours par semaine (avant l'horaire pourri sur cinq jours, forme de harcèlement), pendant 34 semaines par année (deux sessions de 15 semaines plus une semaine d'examens, plus une semaine de réunions diverses), faites le calcul, ça en fait des kilomètres. Mais à chaque jour suffit sa peine. Dire qu'à dix minutes de chez lui se trouve le collège Edouard-Montpetit où ses quatre enfants, deux garçons, deux filles, ont étudié. Les écoeurants disait sa vieille tante Françoise (décédée à 92 ans) comme si un complot avait été tramé contre lui. Elle avait de longues mains qui rappelaient une sculpture de Rodin.
Le long de l'autoroute 30, l'explosion des couleurs de l'automne, les vents en diagonale de l'hiver, les cabanes à sucre et les amélanchiers en fleurs du printemps (et du docteur Jacques Ferron), les geais bleus en couple surgissant de la forêt, un raton laveur ou une mouffette écrasée ici et là, ça sent la Heineken, le confort du moteur V6 Renault-Peugeot-Volvo puis de la technologie japonaise. Arrivé en classe à huit heures deux, au tableau, il écrit: Quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt (proverbe chinois). Après avoir donné un travail à ses élèves, répondez en équipe de deux à dix questions sur un des quatre chapitres de la Princesse de Clèves, il descendait à la cafétéria quelques minutes prendre le café du matin en lisant le Journal de Montréal surtout les nouvelles du sport, abondantes. (Déception quand le Canadien perd.)
Tout était sous contrôle, c'était la belle vie avec trois mois de vacances pour jouer au golf et faire du camping familial tous ses cours étant préparés avec les notes à photocopier et à passer. Après trente ans, sa réputation était faite. Personne n'aurait osé essayer de l'écoeurer. On craignait ses remarques satiriques. Par exemple, pour ne pas qu'elle prenne froid, il avait offert son débardeur en laine à une jeune fille qui était entrée en classe le nombril à l'air et la craque des fesses visible; un étudiant aux cheveux bleus se fit demander: Est-ce que c'est l'Halloween? A un autre, un Libanais, son père vendait des fruits et légumes, qui le taquinait à propos de sa dernière coupe de cheveux de sa coiffeuse préférée (sa femme), il demanda: quand vas-tu me poser une question sur le Misanthrope? Tout roulait. Avec un minimum de cours magistraux donnés surtout en fin de processus après un effort des élèves pour lire et comprendre. Les élèves les plus brillants l'aimaient et l'appréciaient. Ce qui ne veut pas dire qu'il négligeait les plus faibles mais il ne les accablait pas comme un certain collègue qui les méprisait à cause de leur intérêt pour le sport (prononcé à l'anglaise) la mécanique et les chars. Qu'il repose en paix dans sa Beauce natale lui qui trouvait banal, pauvre lui, le Rivage des Syrtes de Julien Gracq et qui aimait donner des cours privés de français écrit en faisant du cuisse à cuisse avec de belles grandes filles, presque des femmes, maquillées et parfumées. Comme les bureaux étaient à aire ouverte, on était les témoins de cette comédie mais ce n'était pas du harcèlement puisque les filles étaient consentantes. Ah! le pouvoir du crayon rouge.
Pendant ce temps, dans les bureaux de l'administration, plus ou moins utile, un monde parallèle à l'enseignement s'affairait. Dans une atmosphère d'obséquiosité, les secrétaires préparaient les ordres du jour de réunions diverses et la paperasse, procès-verbal, documentation, propositions à être adoptées. Les cadres essayant de justifier leur existence se mettaient en frais d'encadrer les enseignants à coups de plans cadres. Ces anciens professeurs devenus cadres étaient jaloux de la liberté des enseignants. Leur marotte, c'était le contrôle. Avec des réunions qui les occupaient, commission pédagogique, harmonisation des plans d'étude, journées pédagogiques qui nous faisaient perdre notre temps. Ces réunions étaient peu utiles la preuve en fut faite un jour qu'une cadre, l'autre adjointe au directeur des études, tomba malade et fut absente pendant deux mois. On plaisantait en disant: est-ce que son absence a changé quoi que ce soit aux activités normales d'enseignement dans les classes? Pendant ces deux mois, le Littéraire remarqua qu'on ne voyait plus personne passer dans le corridor pour l'espionner.
Dans un collège du Québec situé dans la région du Bas-Richelieu sur la Rive-Sud du fleuve St-Laurent, il peut s'en passer des choses. Surtout si ce collège public est dirigé comme si c'était une entreprise privée par une femme ambitieuse qui aspire au pouvoir absolu et qui prend des moyens douteux pour étouffer toute contestation. La directrice générale exigeait qu'on soit toujours d'accord avec ses projets. Or ses projets avaient souvent des conséquences sur les conditions de travail des enseignants car les ressources qu'elle accaparait augmentaient la tâche des enseignants. Un syndicaliste digne de ce nom ne pouvait évidemment pas la laisser sévir. Devant cette espèce de Louis Quatorze en jupon, il pensait à Nicolas Fouquet dépouillé de son château de Vaux-le-Viconte qu'il a visité lors d'un voyage en France. Des enseignants compétents, diplômés et syndiqués ne peuvent se soumettre à une petite-bourgeoise de Ste-Anne-de-Sorel qui se croit supérieure aux autres parce qu'elle et ses amis ont de l'argent. Cette arrogance de l'argent: il fallait que tout soit rentable pour donner l'image d'une bonne gestionnaire. C'était écrit dans le ciel qu'il y aurait des affrontements avec cette femme d'affaires qui a tenté d'administrer un collège comme une business.
De ces affrontements, il est question dans ce livre qui traite des neuf dernières années de ma vie d’enseignant, de 1997 à 2005 dans un collège qui aurait pu s'appeler Germaine-Guèvremont, ce que je souligne pour rappeler le refus de certains Sorelois de changer le nom du collège. C'est là que j'ai enseigné la littérature française et québécoise pendant trente-six ans, de 1969 à 2005; j'ai exercé souvent la fonction de coordonnateur du département de français et fait partie de l'exécutif du syndicat des enseignants, ce qui m'enlevait quelques cours à donner, on appelle ça du dégrèvement. Au lieu de terminer ma carrière d'enseignant tranquillement, en paix, j'ai eu à combattre une directrice générale qui a poursuivi le syndicat en diffamation pour des sommes de 80,000 dollars et de 170,000 dollars. Ces extravagances judiciaires ont coûté en frais d'avocat 50,000 dollars au collège et 25,000 dollars au syndicat. Sans oublier les pertes de temps et d'énergie. C'était payé cher pour satisfaire les tendances autocratiques d'une directrice.
Nous, c'est le syndicat donc tous les enseignants et moi, je suis le Littéraire. C'est mon surnom. Cette femme mûre d'assez belle apparence, impérieuse, m'as-tu vu, surnommée Sa Majesté ou la Reine du décorum est la co-vedette de ce livre. On l'a même appelée Ubu Reine. La directrice générale n'a reculé devant aucun moyen, deux poursuites en Cour supérieure et plusieurs actions de harcèlement qui seront décrites, pour nous dominer et nous contrôler. Selon le principe machiavélique de la fin justifie les moyens. Elle nous a placés dans une situation de tension continuelle pendant sept ans. Nous en avons fait autant pour elle qui n'a pu jouir un seul instant de son pouvoir, pouvoir tout relatif puisqu'il s'agit d'un petit collège de région mais pouvoir quand même. L'avenir de l'humanité n'était certes pas menacé par ses stratagèmes, mot devenu à la mode suite au rapport Duchesneau sur la corruption dans l'industrie de la construction. L'industrie de la corruption, selon le lapsus célèbre commis par Jean Charest, premier ministre du Québec de 2003 à décembre 2012. Et qui a été la principale cause du mauvais climat politique régnant sur le Québec pendant dix ans; il était encore premier ministre au moment où ces lignes ont été écrites, le 4 juin 2012, en pleine crise causée par le refus des étudiants universitaires de l'augmentation de droits de scolarité de 82%, crise qui a été aggravée par une loi spéciale déposée le 17 mai 2012 à l'Assemblée nationale.
Le règne de Sa Majesté fut un échec. Ubu Reine a subi la défaite. Nous raconterons les principales péripéties de cette guerre que nous avons gagnée.
Chaque action de harcèlement de La Reine du décorum fut suivie de contre-attaques qui l'ont neutralisée. Le syndicat des enseignants a répliqué aux deux Slapps (strategic lawsuit against popular participation), deux poursuites-bâillons (de 80,000$ et 170,000$) par des griefs, une plainte au Tribunal du travail et des menaces de poursuites en diffamation contre la directrice générale qui fit l'erreur de nous traiter par écrit de menteurs. Il peut être intéressant de vérifier si c'est bien vrai que nous avons gagné. Le lecteur, la lectrice (je répète que je ne vous oublie pas mesdames...) sera juge: cela mettra un peu de suspense dans sa lecture. Car la directrice contesterait ce jugement. Comment une notable, une personne de sa qualité, si dévouée et si bien intentionnée pourrait-elle perdre une lutte contre des mécréants dans notre genre !
Nous décrirons le conflit dans une optique plutôt ludique car c'est stimulant de se battre malgré les inquiétudes et le stress que des actions sournoises ont provoqués. Et c'est plaisant d'écrire même s'il est irritant de se rappeler des coups bas, des mensonges et des hypocrisies des adversaires, cadres ou enseignants. La distance du temps permet de voir très clairement ces mesquineries, ce qui provoque nécessairement de la colère. Des coups de pied au cul se sont perdus. On parle en particulier du manque de franchise et de loyauté de collègues ( le mot collègue est un épicène, c'est-à-dire qu'il implique le féminin et le masculin: ici, il faut lui enlever toute connotation fraternelle).
Des écrivains et surtout Montaigne, l'auteur des Essais, nous ont accompagné dans cette lutte pour la liberté d’expression contre l’autocratie et la bourgeoisie dans une petite ville située au Québec à 70 km à l'est du Vieux-Longueuil, sur la Rive-Sud de Montréal, dans la région du Bas-Richelieu où il y a encore des chasseurs et des cultivateurs comme ceux qui sont décrits dans les romans de Germaine Guèvremont qui sont des chefs-d'oeuvre de la littérature universelle et dont les personnages sont de beaux exemplaires d'humanité, en particulier le Père Didace, le Survenant et Angélina, mais aussi d'autres femmes, l'Acayenne et Phonsine qui s'entredéchirent dans Marie-Didace, un roman qui se termine par la mort suspecte de l'Etrangère d'une crise cardiaque à qui Phonsine a servi du ragoût de boulettes interdit par le médecin et qu'elle ne devait pas manger. Cette étrangère, l'Acayenne, Phonsine l'appelait avec dédain la morue.
A l'adresse des non Québécois qui liraient ce livre, pour comprendre l'âpreté de ces luttes qui ont duré huit ans, il faut savoir qu'il y a ici au Québec une question nationale non réglée. Les oppositions des belligérants sur la situation du Québec datent des années 70, année de la crise d'Octobre où un ministre libéral est mort suite à un enlèvement. Et en 1995, les indépendantistes disent que le deuxième référendum sur la souveraineté-partenariat fut volé comme l'a montré Robin Philpot dans son essai: Le référendum volé. Cet arrière-fond politique a envenimé de façon souterraine un conflit qui s'est déroulé dans un collège qui aurait pu s'appeler collège Germaine-Guèvremont, nom qui a été rejeté par certains Sorelois qui ont refusé l'honneur d'être associés au plus grand écrivain de l'école du terroir: ils n'ont pas compris l'honneur et le privilège qu'il y avait à être associé au nom de Germaine Guèvremont. Ils pensent comme Grosgras Provençal ou Amable Beauchemin: le Grand-dieu-des routes est pour eux une ramassure des routes, une plume au vent, un coureux de chemin, un fend-le-vent, un beau marle.
Pendant huit ans, ce fut la guerre. Montaigne écrit dans ses Essais dans le livre 1, au chapitre 47:
Il fait dangereux assaillir un homme à qui vous avez ôté tout moyen d'échapper que par les armes; car c'est une violente maîtresse d'école que la nécessité.
Cela décrit bien la situation où nous avons été placé par la Reine du décorum et par la clique de Ste-Anne-de-Sorel pendant huit ans. En effet, il n'y avait pas d'autre possibilité que la guerre. Nous n'avons pas eu le choix. Ou bien on s'écrasait et on était humilié, ou bien on prenait les armes, on se défendait et on attaquait pour se faire respecter. Car comme l'écrit Montaigne, c'est une violente maîtresse d'école que la nécessité. Et, en effet, il fait dangereux assaillir un homme à qui vous avez ôté tout moyen d'échapper que par les armes.
aire de repos
Parlant du cadeau de la vie, rappelons la phrase de saint Paul entendue à la messe: Qu'as-tu que tu n'aies reçu et pourquoi t'en glorifies-tu comme si tu ne l'avais pas reçu! (1 Cor 4,7) Cette phrase-clé protégera le Littéraire contre l'autosatisfaction imbécile et contre ce que les Trappistes de l'abbaye d'Oka, disciples de saint Bernard, appelaient l'orgueil de la vie.
Il fit cette réflexion profonde: qu'un homme auquel on paye à dîner est un homme à moitié dompté. ( Jules Renard, Journal, La Pléiade, Gallimard) (En référence au dîner (le déjeuner pour les Français) payé par la Directrice pour obtenir 4.2ETC (enseignants temps complet) lors d'une rencontre avec l'exécutif du syndicat des enseignants qui nous a précédé.)
Il était rusé et fourbe comme un renard et il avait le nez long.
(Remarque faite le 16 juillet 2011 à propos du notaire Joseph-Alphonse Ferron, le père de l'écrivain Jacques Ferron, par monsieur Réal-Maurice Beauregard, fin causeur et hôte célèbre du gîte le Carrefour à Louiseville, maison habitée dans le passé par la famille de Jacques Ferron.)
mise en route du moteur avec Montaigne, Joyce et Audiberti
Montaigne
Ceux que la fortune a fait passer la vie en quelque éminent degré, ils peuvent par leurs actions publiques témoigner quels ils sont. Mais ceux qu’elle n’a employés qu’en foule et de qui personne ne parlera, si eux-mêmes n’en parlent, ils sont excusables s’ils prennent la hardiesse de parler d’eux-mêmes. (...) Je ne veux pas qu’un homme se méconnaisse, ni qu’il pense être moins que ce qu’il est. (Montaigne, Essais, II, 17, 1592)
Joyce
Les faits parlaient d’eux-mêmes. Il réfléchissait aux égarements des personnes de distinction et des gens en vue qui sous leur apparence policée battaient en brèche la morale, les femmes surtout. Et pour tirer parti de cette heure dorée, il se demandait s’il ne lui arriverait pas quelque chose qu’il pourrait mettre par écrit. Il fallait trouver quelque chose qui sorte des sentiers battus du genre Ce qui m’est arrivé ou ce qui s’est passé au collège Trinity. (James Joyce, Ulysse, 1914-1921)
Jacques Audiberti
Certains écrivent des livres, beau travail. D'autres les lisent, leur travail non plus n'est pas négligeable. Lisant ce petit livre, elle mettait, à poursuivre sa lecture, une intensité créatrice analogue à celle de l'auteur. Elle qui n'avait jamais rien écrit, à part les lettres banales à l'adresse de la famille, elle savait qu'elle finirait ce livre dans la même retentissante, silencieuse explosion de délivrance et de fierté que l'auteur quand, lui-même, un jour, il l'avait fini.
(Jacques Audiberti, Le Maître de Milan, L'Imaginaire, Gallimard, Paris, 1950)
Au lecteur (inspiré de Leonard Cohen)
Lecteur, lectrice, merci d’être venu à ce livre et de porter votre attention à ce curieux ouvrage. C’est un livre qui ne ressemble à aucun autre. Pour citer Montaigne, c’est un fagotage de diverses pièces. Je fais partie de ces hommes de qui personne ne parlera, si eux-mêmes n’en parlent. L'auteur des Essais a raison d’écrire : Je ne veux pas qu’un homme se méconnaisse, ni qu’il pense être moins que ce qu’il est. De la même manière, l'écrivain québécois Jacques Ferron regrettait que trop de ses contemporains se sous-estiment, gardent le silence par excès de modestie et nous privent de leur expérience.
Je ne garderai pas le silence et je n’aurai pas d’excès de modestie. Je vais donc parler de mon expérience des huit dernières années de ma vie d'enseignant. Les mêmes faits sont présentés mais à des points de vue différents. C'est comme des variations sur un même thème. Ces répétitions ne vous dérangeront pas si vous lisez ce livre en cinq ou six séances de lecture. Avec l’espoir quand même de ne pas trop vous bâdrer (bâdrer : mot québécois utilisé par ma grand-mère Gervais et qui vient du mot anglais bother, embêter, don’t bother me, ne me dérange pas). Je vais traiter de temps en temps de politique, sujet difficile en milieu rural et en milieu semi urbain comme l'est une petite ville de 30,000 habitants comme Sorel. Mais il n’y a qu’à regarder les fréquentations des uns et des autres pour savoir où logent les protagonistes de cette histoire. La question nationale québécoise non résolue divise les Québécois en deux camps opposés; au travail, cela pèse sur les relations interpersonnelles. Je sais que Stendhal a écrit que la politique dans un roman, c'est comme un coup de feu pendant un concert. Mais je n'écris pas un roman même si un être proche prétend que c'est ce que j'aurais dû écrire. Elle préfère un récit suivi qui porte le lecteur sur la main plutôt que ma technique de la mosaïque qui procède par fragments et qui fait travailler un peu le lecteur ou la lectrice. Dans mon enseignement, l’élève devait faire sa part: cet effort de lecture et de réflexion était indispensable pour que ce soit formateur.
Il faut situer dans un contexte d’oppositions politiques souvent occultées ou niées ce qui s’est passé à mon collège entre 1997 et 2005, là où il a fallu défendre la liberté d’expression et la liberté syndicale. Ce n’est pas tous les jours que des enseignants reçoivent la visite surprise du huissier (oui, ça existe les huissiers dont parlent les comédies de Molière), de bonne heure le matin (ça commence mal une journée) et sont menacés de payer des frais juridiques de dizaines de milliers de dollars et des amendes de 80,000 $ et de 170,000 $ pour diffamation et atteinte à la réputation. C’était la première fois au Québec, sauf erreur, que la Direction d’un collège gaspillait 50,000 dollars de fonds publics en honoraires d’avocat pour faire taire un syndicat, intimider un enseignant et le pousser à la retraite. Et aussi, pour exercer une vengeance politique. Cela sort de l'ordinaire. Ces poursuites, c'est une forme d'abus de pouvoir pour imposer une sorte de dictature. Cela méritait bien un récit qui sera l'occasion de décrire les méthodes utilisées par des gens qui pratiquent la règle de la fin justifie les moyens. La responsable de ces poursuites-bâillons est cette femme qui, comme l'écrit Joyce, malgré son apparence policée, battait en brèche la morale. Comment expliquer de tels excès de la part d'une notable qui se souciait de l'apparence et qui tenait à sa réputation de femme respectable? Comment se fait-il que ces cadres féminines ont renoncé à leurs bonnes manières pour déclarer la guerre à un syndicat et à un enseignant? Une bonne façon de répondre à cette question est de décrire ces poursuites-bâillons qui sont une forme d'intimidation et de violence judiciaire. Cette description provoquera sans doute le mécontentement de ces femmes qu'on croyait respectables. Mais quand on fait l'erreur de s'attaquer à des professeurs pugnaces qui savent écrire, il faut s'attendre à ce qu'il y ait des conséquences et que de mauvaises actions ne disparaissent pas dans l'oubli.
Au départ, convenons que sur chaque question litigieuse, il y a au moins deux points de vue. Par exemple, vous l’avez sans doute remarqué, je viens de parler de poursuites-bâillons et de vengeance politique. C’est un jugement de valeur sur la nature des poursuites que nous avons subies et sur leur motivation. Mais pour notre adversaire, ces poursuites n’étaient certainement pas des poursuites-bâillons : elles étaient justifiées à cause d'une action syndicale qui la contrariait beaucoup et aussi, pour des raisons politiques plus larges. C’est une matière qui porte à controverse. De même, nos adversaires qui étaient de sexe féminin n'admettront jamais que leurs motivations étaient politiques. Je le dis une fois pour toutes : quand je porte des jugements, c’est mon opinion et la plupart du temps celle du syndicat dont j’ai été le principal porte-parole. J’ai quand même le droit à mon opinion. Cette opinion, c'est aussi celle d'un grand nombre d'enseignants. Mais je donne aussi droit de cité à une autre opinion. L’opinion contraire est longuement et clairement exprimée dans le chapitre intitulé les Confidences d’une femme trahie. J’ai été le plus honnête qu’il était possible de l’être dans les circonstances. Le lecteur, la lectrice aura donc tous les éléments pour juger par lui-même. Et il ne s’en privera pas, je l'espère. En tout cas, il y a de bonnes chances qu'il ne reste pas indifférent.
Le chapitre C'est la faute à Montaigne où j'exprime mon point de vue rapporte des faits objectifs ainsi que le chapitre intitulé Gibelotte qui donne des précisions sur le vocabulaire, les circonstances et les personnages. Les faits parlent. On ne peut douter des faits qui sont appuyés sur des documents irrécusables qui sont publiés à la fin du livre, en annexe, comme information complémentaire. C’est pour cela que cet essai n’est pas un libelle diffamatoire. Je ne suis pas emporté par une haine qui me pousserait à proférer des calomnies inspirées par des jugements téméraires. La réalité suffit. Pas besoin d’en remettre. Il s'agit tout simplement de bien la décrire et de laisser au lecteur, à la lectrice, le soin de conclure.
Dans un petit collège de mille élèves de la Rive-Sud de Montréal, en 2001, des enseignants ont été poursuivis deux fois pour diffamation d'abord par le directeur des études qualifié d'incompétent soumis aux ordres de la directrice générale puis par la directrice générale elle-même qui a accusé le Littéraire de l’avoir traitée d’alcoolique. Ces deux poursuites sont des faits. Il est de notoriété publique que je me suis opposé, avec d’autres, aux projets de la directrice sur le stationnement payant et sur la privatisation de la cafétéria. Cela lui a déplu. Quand on veut diriger, on écarte les obstacles. Or, j’ai été un des obstacles. (Les libéraux de la région avaient déjà essayé de me faire perdre mon emploi en 1972-1973 et ils avaient échoué; cela est raconté dans un livre publié en 1973: De la clique des Simard à Paul Desrochers…en passant par le joual et repris dans La fin du mépris (Parti pris, 1978). En 2001, dans le même esprit, on voulait me pousser à la retraite et on poussait pas mal fort. Un peu trop fort, si vous voulez mon avis. Je me devais de résister. C’était une question de fierté. Et j'ai résisté.
Pour affirmer son autorité, la directrice devait donner un exemple. Des disputes éclatèrent au grand jour. Il n’était pas question de me retirer, de prendre ma retraite, mes jours ne paraissant pas en sécurité parce qu’on voulait ma peau et qu’on ne regardait pas sur les moyens. Je ne cédai pas. Je me fis un point d’honneur de faire face. Avec l'appui du syndicat des enseignants. J’ai pris ma retraite en juin 2005, un an après la retraite de la directrice. J’aurais pu prendre ma retraite sans perte actuarielle trois ans plus tôt en 2002 à 64 ans avec 36 ans d’expérience. J’aurais alors eu comme pension 70% de la moyenne de mes salaires des cinq dernières années, salaire augmenté de la prime de doctorat de 4,000$. Avec l’appui d'une forte majorité des membres du syndicat, je lui ai tenu tête. La solidarité a été presque sans faille; la vraie solidarité pratique et efficace, c'est réconfortant et ça prouve que, parfois, on a raison d'être idéaliste. Cette solidarité, nous avons travaillé fort pour l’obtenir car elle n'est pas tombée du ciel et ne nous a pas été donnée gratuitement. Il a fallu faire beaucoup d’information auprès de nos collègues; exercer du leadership; être diplomate. Or, la diplomatie, vous vous en doutez, ce n'est pas mon fort. Il a fallu avoir l'appui de personnalités influentes dans tout le collège. A cause de son entêtement et parce qu'elle croyait avoir toujours raison, la directrice a fait des erreurs et a subi plusieurs défaites. On peut en faire l'énumération. Elle a perdu sur les modalités de l'examen de reprise; elle a perdu sur le stationnement payant; elle a perdu sur la cafétéria qu'elle voulait privatiser; elle a perdu sur le financement de nouvelles voies de sortie dans certains programmes; elle a perdu sur l'utilisation des casiers des enseignants pour transmettre de l'information syndicale; elle a perdu sur une première tentative de chasser le Littéraire du Conseil d'administration du collège; elle a perdu sur la coupure de nos salaires de 2.5% pendant trois mois de plus que ce qui avait été convenu au niveau national; elle a perdu sur la surveillance de la présence des enseignants dans leurs classes; sur la collaboration des enseignants à l'élaboration d'un plan stratégique; sur la présence des enseignants aux activités sociales que nous avons boycottées: partie de sucre, tournoi de golf, bal masqué, fête de Noël; sur la publication du Huissier, organe d'information syndicale. En d’autres temps et si elle avait été un homme, je l’aurais convoquée en duel comme dans les romans d'Alexandre Dumas. Le sang aurait coulé. Je me serais comporté comme d'Artagnan: j’aurais réglé son cas une fois pour toutes. Chez elle, de semblables désirs homicides ont été transformés en poursuites et en harcèlement. Par les Confidences d"une femme trahie, je lui ai donné la parole. Tout le monde comprendra que ce n'est pas par générosité; c’est pour pouvoir mieux la contester. Et pour que vous sachiez à qui nous avions affaire. Vous aurez l'occasion d'aller au-delà des apparences.
Quand j’étais jeune, j’ai regardé pendant plusieurs années à la télévision les épisodes hebdomadaires du télé-roman Le Survenant. Montréalais, enfant du Parc Lafontaine dans la paroisse de l'Immaculée-Conception tenue par des Jésuites, puis de la paroisse Ste-Catherine d'Alexandrie, (plus tard, cette église a été démolie), jamais je me serais imaginé enseigner dans la région du Chenal-du-moine. Pendant trente-six ans, j’ai eu l’occasion de me promener en auto le long du Chenal-du-Moine entre deux cours à l’heure du midi surtout à l’automne et au printemps en revoyant des scènes du Survenant ou de Marie-Didace. C’est un paysage qui m’est devenu familier. C’est ma façon de voyager. De la même manière, je me suis retrouvé près de la Loire, avec ma conjointe, à St-Florent-le-Vieil, à l’hôtel de la Gabelle, à côté de la maison de Louis Poirier alias Julien Gracq ou dans la librairie des Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy à Paris, en 1965, pendant mon voyage de noces ou dans la librairie de José Corti qui était assis derrière un bureau et à qui on pouvait parler et qui souriait quand on lui disait : Comme ça, c’est vous qui êtes l’éditeur de Julien Gracq, je suis honoré de vous saluer. Je me sens privilégié que le hasard m’ait conduit à respirer le même air que le père Didace Beauchemin (joué à la télévision par Ovila Légaré). Je me souviens d’une excursion dans les méandres du Chenal-du-Moine sur le bateau d’un collègue professeur d’électrotechnique Paul Martin surnommé l’Ingénieur. Le vent était frais, le moteur grondait et le bateau fendait les flots. Le soleil faisait éclater les couleurs d'un paysage d'automne. Etaient présents les principaux acteurs de cette histoire. Sous les cris familiers des outardes en formation, nous avons abordé un quai qui nous a menés au restaurant Chez Marc Beauchemin tenu par une de mes étudiantes adulte où, accompagnés d’un vin blanc servi froid, après une bonne bière froide, nous avons mangé avec appétit de la gibelotte traditionnelle pleine de saveurs marines. Avec un gros oignon blanc coupé en tranches sur la table. Ce fut un repas mémorable et un grand moment d’amitié.
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Lecteur (lectrice), je vous remercie de l’intérêt que vous portez à ce livre. Votre intérêt démontre une générosité téméraire bien que touchante de votre part. Et une forme d’idéalisme que je vous encourage à ne jamais perdre.
Ce livre a été écrit pendant plusieurs saisons de ce climat tempéré dont jouit le Québec, pendant que la neige ou la pluie tombait, ou sur une table à pique-nique ombragée par un érable à l’île Dupas où habitent les parents du député de Marie-Victorin Bernard Drainville, ou près d’un lac tranquille, le lac Langis non loin d’Amqui dans le chalet d’une amie ou pendant l’été des Indiens. Il a été écrit pendant les chaleurs de l’été, en buvant un jus de pamplemousse rose sur la glace, ou une bière Kronenberg 1664, dans l’atmosphère rafraîchie par de l’air climatisé dans un grenier d’une maison plus que centenaire du Vieux-Longueuil, entourée d’une cinquantaine de sortes de fleurs, grenier d’où on peut voir au loin le pont Jacques-Cartier et les feux d'artifice et entendre les cloches de l’église saint Antoine-de-Padoue qui sonnent l'angélus et, plus près, en plongée, des arbres, une vigne qui décore la clôture du patio et un jardin où poussent des tomates rouges, des tomates roses, des haricots jaunes, des betteraves, des oignons blancs, des carottes, des concombres et du basilic, de la marjolaine, du romarin et du persil, tout ce qu’il faut pour faire une bonne gibelotte ou une bonne soupe italienne. Comment ne pas croire en la vie et en la jardinière en voyant ces légumes qui poussent et qui repoussent d’année en année en pleine ville et qui se retrouvent sur notre table ou qu’on partage avec nos quatre enfants qui habitent pas loin de chez nous.
Ce livre est une mosaïque. On peut regarder un tableau sous différents angles : ce qui compte, c’est la vue globale, la vue d’ensemble.
Lecteur, lectrice, j’espère que je ne vous aurai pas fait perdre votre temps. Depuis le début de ma retraite comme enseignant en mai 2005, l’écriture de ce livre est une entreprise plutôt ludique qui m’a occupé pendant quinze ans, m’a tenu en éveil et m’a stimulé en même temps que j’écrivais des textes politiques. (plus de 1,018 textes suscités par l’accueil de Bernard Frappier (qu'il repose en paix!), le webmestre de Vigile.Québec qui a accepté de publier sur sa Tribune libre, en vingt feuilletons, une version de La Gibelotte et autres essais. Tous ces textes ont été enlevés des Archives par Richard Le Hir décédé en 2018, le narcissique malveillant et malfaisant qui s'est emparé de la fonction de rédacteur-en-chef et que Jean Chartier a appelé la taupe alors qu’il était ministre de la restructuration en 1995, époque du référendum sur la souveraineté-partenariat. Les deux rapports du vérificateur général sur le fonctionnement du ministère de la Restructuration ne nous laissent aucune illusion sur Richard Le Hir: un de ses collaborateurs a fait de la prison. Il faut lire La Taupe, Chronique du référendum de 1995, Acte 2 de Jean Chartier. On a la preuve que Jacques Parizeau a fait deux graves erreurs comme premier ministre: nommer Richard Le Hir ministre et démissionner au lieu de contester la courte victoire du NON en 1995.
A la fin de la rédaction de cet essai, je dis mission accomplie. J’avais quelque chose à dire et je l’ai dit. Je me sens libre comme Andy Dufresne (Tim Robbins), évadé de prison, à la fin du film The Shawshank Redemption. Après 36 années passées à enseigner la littérature au même collège, je me suis désinstitutionnalisé. Sur le bord de la mer, Andy Dufresne passe du papier sablé sur son bateau et voit au loin son ami Red (Morgan Freeman) qui a enfin obtenu sa libération de prison et à qui il a donné rendez-vous. Ils se donnent l’accolade. C’est la dernière scène du film. Leur sourire est inoubliable. La mer, les vacances, la liberté conquise, l’amitié, qu’est-ce qu’on peut demander de plus ! Une rencontre amicale semblable a eu lieu l'été chez notre ami le syndicaliste et professeur de sociologie Daniel Lussier à St-Thomas-d'Aquin non loin de St-Hyacinthe peu de temps avant sa mort d'une crise cardiaque à l’âge de 57 ans.
Loin des bureaux de la Direction du collège et loin du Palais de Justice de Sorel où règnent mesquinerie, fourberie et appât du gain, tendons l’oreille au jacassement qui vient du ciel et suivons des yeux la chorégraphie aérienne et libre des outardes inaccessibles au fusil des chasseurs.
(Ce message s’inspire très librement de la préface écrite par Leonard Cohen à l’édition chinoise du livre Beautiful losers, (Perdants magnifiques), 1966).
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